Perpignan c’est le sud. Le vrai ! Du soleil plein les mirettes et 200 jours de Tramontane en travers la gueule. Le tout loin de Paris… et le mieux c’est qu’on s’en fout parce que y’a Barcelone pas loin si le besoin de grande ville se fait sentir. Sur le papier, voilà une ville moyenne qui nous vend du rêve. Sauf que vous n’êtes pas dans la première pref venue et qu’il va falloir faire un effort de compréhension du contexte si vous voulez goûter au Pays catalan !
Perpignan et sa région : les mots-clés en 2015
État des lieux prospectif
Perpignan 2030 : The Fall of the Creative Class
Il est bien connu que la solution à tout ce sont les classes créatives tant vantées par Florida (lui, pas lui). Tout le monde veut les attirer et les villes moyennes ne font pas exception. Et bien essayons de voir ce que ça donnerait, dans une ville moyenne solidement campée dans sa région, si elle parvenait effectivement à les attirer en nombre… Et désolé pour les Perpignanais, c’est tombé sur vous !
À l’approche des années 2020, le Roussillon était une région relativement indépendante des conjectures parisiennes, mais quelque peu délaissée, comme oubliée dans son coin d’hexagone. On ne cessait de venter ses atouts : la mise en service du TGV méditerranée, l’autoroute ferroviaire Perpignan-Luxembourg, un ensoleillement exceptionnel et la fréquence de la tramontane qui promettaient une politique énergétique modèle. Mais la réalité était tout autre : un centre ville sinistré et délabré, un taux de chômage catastrophique et des tensions communautaires sur fond de radicalisation politique. Très positivement perçue de l’extérieur, la ville était une soufrière.
Étonnement, ce sont des circonstances parisiennes qui devaient bouleverser la situation perpignanaise. Comme New York avant elle, Paris affrontait de plein de fouet ses contradictions vis-à-vis du monde de l’art : l’immobilier parisien, même en proche banlieue, était devenu inabordable pour des artistes dont le travail réclamait de grands volumes pour pouvoir exprimer leur imagination. Bien que courtisés par le ban et l’arrière ban des villes françaises, plusieurs artistes influents se souvinrent que leurs glorieux ainés s’étaient bien souvent tournés vers le sud de la France pour y retrouver la lumière. La Provence étant devenue un pays de cagoles plutôt que de cocagne, le Roussillon leur apparut un meilleur choix d’autant que certains se rappelèrent que Salvador Dalì avait désigné la façade de la gare de Perpignan comme le « centre cosmique du monde ».
Mer, montagne, soleil, Espagne et monde de l’art, entre 2019 et 2025, ce cadre de vie rêvé ne tarda pas à attirer de nombreuses classes créatives qui suivaient le sillage de l’avant-garde artistique. Ils venaient s’imprégner de l’environnement cosmopolite de Perpignan, baignée de culture catalane, espagnole ou nord africaine. Une mode de la musique gitane, portée par le puissant 5e album des Daft Punk, avait même entraîné un retour en grâce des gens du voyage. Ils venaient retaper les vieux immeubles du centre-ville et profitaient des clopes et de l’alcool pas chers du col du Perthus. La tramontane ayant la réputation de rendre fou, les locaux ne se soucièrent pas, dans un premier temps, de ces nouveaux arrivants quelque peu originaux. L’effet d’aubaine était trop beau pour une ville moyenne, qui les accueillait à bras ouverts. C’est ainsi qu’en moins de 10 ans, les quartiers de la gare et de Saint Mathieu devinrent un repaire de loufoques.
Dynamisme, attractivité, créativité, tout cela a malheureusement ses mauvais côtés dans une région où l’on tient aussi beaucoup à son indépendance et à son identité. Les Catalans devinrent peu à peu méfiants puis hostiles face aux nouveaux venus qui investissaient la ville jusque sur les espaces publics, qui se couvraient d’œuvres conceptuelles incompréhensibles. Ce qui avait le don de passablement les irriter. La création d’un festival du burning man à Canet-en-Roussillon fit grincer quelques dents, notamment chez les gens du voyages a qui on avait toujours refusé l’installation de caravanes et les feux de camps sur la commune et qui voyaient débouler, en plus des touristes en mobile-home habituels, des milliers de campeurs.
Un premier incident sérieux intervient avec l’exposition des monochromes géants qui furent installés sur les murs-mêmes du Castillet. Deux semaines après ses débuts, la presse locale révéla que l’exposition était : « une réflexion sur l’inconnu et la beauté du voyage, sur les vertus et le besoin existentiel d’un exil de la pensée ». Les descendants de Républicains espagnols, de Pieds-noirs et de Harkis, ne purent s’empêcher d’aller demander en mairie si on ne se foutait pas un brin de leur gueule.
Mais la goutte qui fit déborder le vase fut l’annonce, en 2028, de l’installation « d’œuvres éphémères » au sommet du pic du Canigou. C’en était trop pour les Catalans qui déboulèrent de toutes les Pyrénées-orientales avec la ferme intention de tabasser tout ce qui ressemblerait de près ou de loin « à une saleté d’artiste ». Ils furent rapidement rejoints par les descendants des rapatriés d’Algérie comme par les enfants d’immigrés turcs ou maghrébins et, bien sûr, par les gens du voyage lassés de se faire piquer impunément leur culture et leur mode de vie par des punks à chiens responsables et par des CSP++ ne méritant « qu’une bonne marave ».
Après une semaine d’échauffourées où l’on dénombra pas moins de 10 000 agressions de smartphones, 2000 meurtres de lunettes cerclées et des centaines de viols d’œuvres d’art publiques, la garde nationale fini par rétablir le calme. Mais la situation à l’ouest du Castillet ne sera plus jamais la même. Perpignan aborde les années 2030 avec une image d’eldorado déçu pour les classes créatives. Chez les anciens habitants en revanche, une grande cohésion semble avoir été créée, effaçant les dissensions entre Pieds-noirs, Maghrébins, Turcs, gitans et autonomistes catalans. C’est sur ce double tableau d’unité et de castagne que Perpignan voit s’ouvrir une nouvelle décennie… et surtout avec des classés créatives soudain plus discrètes.
Épilogue :
Dans les 6 mois qui suivirent les « événements de Perpignan » (dont l’économie et l’image de la ville n’étaient pas ressorties grandies… mais pas particulièrement rabaissées non plus), on enregistra la fuite massive des classes créatives. Outre l’extinction des cours de poterie ethnique (très à la mode dans les années 2020), on s’aperçu que les prix de l’immobilier avaient retrouvé leur niveau de 2016, mais que les apparentements délabrés du vieux centre avaient été fort bien rénovés. Le génie de Richard Florida apparaissait enfin indiscutable : les classes créatives c’est effectivement bien pour une ville… mais une fois qu’elles se barrent ! La théorie ainsi complétée en était confirmée. Fortes de la leçon de Perpignan, des milliers des villes dans le monde s’apprêtent, à l’aube des années 2030, à jarter plus ou moins sympathiquement les classes créatives qu’elles avaient attirées depuis des décennies, pour récolter les fruits de leurs efforts (et pour enfin pouvoir se débarrasser des ces œuvres de merde qui encombrent leurs espaces publics).
Le projet Le plan de guerre
Perpignan 2030 : campagne de communication
Témoignages
Le Roussillon a été une véritable source d’inspiration, une révélation ! À travers mon œuvre Sphère de calcaire et cylindres de plastique multicolores, qui est implantée Place de la République, j’ai voulu m’emparer de l’ici et de l’ailleurs, symboliser le métissage, cette condensation des mondes et des peuples qui anime Perpignan d’une énergie à la fois existentielle et chtonienne. Je pense que le rôle de l’art moderne est de sublimer ces énergies pour en imprégner un peu plus l’âme des spectateurs. Nous réfléchissons actuellement, avec la fondation Pinault, à un projet de phare en fibre de verre multicolore sur le Pic du Canigou. Il placerait tout le Roussillon sous une lumière artistique.
Hermine King, 33 ans, artiste plasticienne – 2027
– On lui a niqué ses putains de plots en plastique à cette dinde. Et si elle remet les pieds à Perpignan, on convoque tout St-Jacques pour la bouillave.
– La King elle va la sentir passer l’énergie des peuples !
– Et c’est pas montée sur Louboutin qu’elle va réussir à nous échapper.
Diego & Mounir, 17 ans, amis pour la vie depuis 2028
Je suis à nouveau fier de ma ville. Cette union, cette unité retrouvée entre Perpignanais, ça donne foi en l’avenir. Finalement ils nous ont peut-être servi à quelque chose ces artistes avec leurs plugs géants et toutes ces conneries.
Francis Ramirez, 86 ans retraité – 2030
Comme, pour une fois, you tube ne nous a pas sorti des vidéos locales de lip dub de supermarché et rappeur de 3e zone, et surtout parce que la chanson semble connue et appréciée des Perpignanais, on va se quitter sur une note plus chatoyante.
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