Elle serait la ville la plus pourrie de France selon les premiers résultats du questionnaire. Comme quoi, le Sud-Ouest, c’est pas super.

 

Agen et sa région : les mots-clés en 2014

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État des lieux prospectifs

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AGEN, Juin 2028.

Autour du Stade Abdelatif Benazzi (que les anciens appellent toujours Armandie, par nostalgie pour certains, par racisme folklorique pour d’autres), la liesse bat son plein. Toute la nuit dans la capitale du Lot-et-Garonne, on va s’arsouiller à grands coups de Ricard pur voire de Synthol, se jeter contre des lampadaires dans des Caddie, et prendre la voiture pour finir avec un peu de chance dans le fossé de la 113. Une vraie belle soirée comme on les aime dans l’Agenais, avec son lot de bagarres générales, de gardes à vue, de points de suture et d’accidents de voiture.

La confédération nationale des carrossiers ne s’y était pas trompée en organisant son congrès annuel à Bon-Encontre l’année passée : l’Agenais, terre d’ultra-violence et de tôle froissée, avait réussi à dépasser les Landes dans le chiffre d’affaires par département de la profession, lesquelles Landes caracolaient pourtant en tête du classement depuis qu’il existait.

Si nos Agenais sont particulièrement démonstratifs ce soir là, c’est parce qu’ils ont gagné le championnat de Pro D2 contre les Culs Rouges de Dax. Malgré l’interdiction du déplacement des supporters landais à cause de ces pisse-froid de la Préfecture du Lot-et-Tarn-et-Garonne (NB : il aura fallu attendre 2019 pour qu’un énarque se rende enfin compte que le Tarn-et-Garonne ne servait à rien), le Maire sans étiquette (l’Agenais est globalement apolitique « tant qu’on m’emmerde pas ») du Grand Agen se félicite sur 47FM d’une soirée réussie : « 27 tonneaux sur le Boulevard de la Liberté, 42 comas éthyliques, 211 bagarres, 456 points de suture mais pas un seul mort, oui vraiment con, le vrai esprit de la fête de chez nous a été respecté à la lettre, et je promets encore de belles mournifles générales ces prochains mois pour la Feria du Ricard et pour la Quinzaine de la Suze ».

Pour mieux comprendre cette idéologie aussi rafraichissante qu’un « perroquet » dans une fête de village, revenons un peu en arrière.
A la fin des années 2010, on vit une époque compliquée pour l’esprit Sud Ouest. Bordeaux se gentrifie à vue d’œil au fur et à mesure que Parisiens, artistes et hipsters investissent ses bas quartiers, et sur les quais de Paludate de tristes bureaux ont remplacé les bagarres générales et les flaques de vomi.
Toulouse, qui s’est longtemps portée garante d’un vrai esprit Sud Ouest « loin de ces pédés de Bordelais » n’a pas à s’enorgueillir non plus : sa bourgeoisie se calfeutre et ses banlieues rongées par le communautarisme s’embrasent. Coup de banderille fatal porté à l’identité toulousaine : un Starbucks Café a fini par s’implanter Place du Capitole, suite au lobbying intensif du groupe Facebook : « Et pourquoi on aurais pa nou ossi notre Starbeuk comme ces pédés de Bordelaids ? »
Enfin, dans les campagnes, la situation n’est guère plus reluisante : les fêtes de village se terminent désormais à 4h sans même possibilité de prendre un petit déjeuner au Ricard au soleil levant, la police a pour ordre de ne plus laisser conduire les gens ivres, les dates de chasse se réduisent comme peau de chagrin, et surtout, surtout, les arbitres de rugby sanctionnent désormais les pinçages de testicules en mêlée, au mépris des règles les plus élémentaires pour lesquelles nos ancêtres gascons se sont battus.

Le Sud-Ouest, civilisation de ventres arrondis, terre de boucherie ovale et de bourre-pifs gratuits devait-il se résoudre à devenir un pays fadasse tout juste bon à alimenter des comptes Instagram ? Même dans les endroits les plus reculés du Quercy ou de la Bigorre, on commençait à douter.

L’Histoire est parfois écrite par des évènements insignifiants qui mettent le feu aux poudres. Et en ce jour de printemps 2022, le nouveau DGS de la ville d’Agen, fraîchement arrivé d’une contrée nordique hostile (Angoulaime, ou un nom du style…), est allé trop loin en proposant un comité de pilotage Walibi à 14h30. « Ohhconggg 14h30 il est pas un peu fou stinggculé ?? » déclara Jean-Michel, du service Tourisme et Pruneau Show. « 14h30 on a à peine fini le civet de chevreuil et pas encore la bouteille de Buzet », renchérit Maryse, de la compta. Le courroux de nos consciencieux fonctionnaires était tel que cela fut les prémisses d’une profonde crise identitaire dans l’Agenais, qui devint en quelque sorte chef de file de toutes les contrées opprimées par le terrorisme moral qui régnait sur l’Occitanie.

Un référendum fut organisé par la municipalité, avec cette question qui avait le mérite d’être claire : « Souhaitez-vous devenir des lopettes bordelo-toulousaines mondialisées dans leurs comptes Touittère ou bien préférez-vous privilégier l’esprit couillu de nos ancêtres ? ». Malgré le lobbying du responsable de la CCI et du directeur du Center Parcs de Casteljaloux en faveur « d’une identité corporate plus consensuelle au nom de la compétitivité internationale », le bulletin de vote comportant une paire de couilles et un ballon ovale fut celui qui fut le plus comptabilisé : la révolution culturelle pouvait commencer.

Les premières mesures du programme « AGEN OUI, A JEUN NON » furent symboliques mais radicales : interdiction d’Instagram, de Twitter et du football (« c’est pour les tarlouzes », a toujours dit la sagesse gasconne). Jours fériés pour ramasser les cèpes (avec obligation de poster la récolte sur son mur Facebook) et pour plomber les palombes, dénonciation publique des anti-corrida.
Bien évidemment le centralisme parisien bobo germano-pratin médiatique, plus couramment nommé « ces innggculés », furent scandalisés et Agen dut subir une cabale terrible sur toutes les matinales de radio.

Mais peu importe, le résultat était là, et la population de la ville recommençait à croître : du Gers, de la Chalosse, du Béarn, du Médoc… toute une population opprimée croyait de nouveau en la société et se trouvait rassemblée autour de ses valeurs fondatrices : l’alcool, le cochon, la grivoiserie et la violence gratuite. Récompense suprême pour la ville : Lolo Pons en personne décida d’emménager à Agen, totalement séduit par la politique de la nouvelle mandature.
Le week-end, on peut même apercevoir au Havana Café quelques Bordelais qui viennent goûter au frisson oublié de subir la blague du verre-de-bière-qui-est-en-fait-de-la-pisse par un rugbyman les traitant de lopette.

Longtemps coincée entre Bordeaux et Toulouse, tiraillée entre pierre et brique, Agen a su se faire une place formidable dans le tourbillon de la mondialisation. Entre Bordeaux l’instagrammée et Toulouse la terrorisée, Agen la gardienne des traditions et d’une culture menacée d’extinction a obtenu le respect de tous les observateurs. L’Avenue du Général De Gaulle accueillait chaque week-end les fêtards de tout le Sud-Ouest. Les gens bourrés circulaient toute la soirée entre les voitures et les nombreuses buvettes puis se retrouvaient au petit matin sur le marché autour d’un rafraichissant verre de Buzet.
Consécration suprême : suite à un dossier déposé par Agen Agglomération, le 100 mètres Ricard est devenu patrimoine mondial de l’humanité. Pour tout cela, merci Agen.

 

Le projet

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La carte postale

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Les témoignages

« Agengg c’est la Monggolie cte ville, c’est à Buzet »

Jean-Louis, viticulteur
« Les Agenais ne simulent pas en mêlée, ça c’est des gaillards, pas comme ces lopettes du TOP14 »

Lolo Pons, adjoint au sport
« Le week-end on vient à Agen se faire pêter la gueule, ça nous rappelle les Fêtes de Tyrosse quand on était plus jeunes »

Matthieu et Vincent, fêtards bordelais
« Je bosse un week-end sur 2 à Agen, le reste du temps je suis dans ma villa à Biarritz »

José, carrossier
« On est venu voir le maire d’Agen pour installer une nouvelle franchise, mais il nous a suggéré d’avoir des relations intimes anales, c’est à n’y rien comprendre »

Jean-Charles, PDG de Starbucks France.

 

 

Vous pouvez nous laisser des commentaires sur cet article ou sur Agen juste en dessous. Si vous avez des anecdotes ou des témoignages plus approfondis, n’hésitez pas à nous en faire part en contactant directement Mathieu (m.zimmer@deuxdegres.net). Vous pouvez également remplir notre questionnaire sur l’atmosphère qui règne dans la ville ou dans l’une de ses congénères.

 

 

La variante refusée lors du vote du 21 novembre :

État des lieux prospectifs

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Agen 2030 :

14 Avril 2030, grand soleil de printemps sur l’esplanade du Gravier. Les platanes ont depuis quelques années laissés place aux pruniers et aux pommiers. Quelques étudiants traînent autour du kiosque à musique. Un groupe de personnes âgées jouent à la pétanque. A l’approche du péristyle, l’ambiance change. Plusieurs détenus en semi-liberté trompent leur ennui avec des canettes de bières. Sur la façade des bâtiments, les tags de bienvenue annoncent la couleur :
«  Les politiques ont tué Agen, tuons les politiques ! » 
«  Chaque élu pense à sa gueule. Personne pense à Agen ! ».
« On est captif et on t’emmerde. On est captif et on s’emmerde ! »
Il faut être honnête, cela fait bien longtemps que des touristes ne sont pas venus apprécier l’ambiance du Sud-Ouest à Agen.

Les choses avaient pourtant bien commencé. L’arrivée de Center Parcs au nord du département en 2017 avait offert une belle vitrine locale. Elle avait aussi ouvert l’appétit des divers élus locaux. Chacun voulait son grand projet. Les investisseurs privés avaient joué le jeu et en 2022, on pouvait dénombrer les projets suivants :
– Sénior Féria à proximité du Center Parcs, un immense complexe immobilier et touristique pour le troisième âge;
– Adishatz Sud-Ouest !, entre Villeneuve-sur-Lot et Cahors, un parc touristique porté par Gifi et mettant en valeur la gastronomie locale, pour tous les budgets;
– Rugby Féria, le centre de loisir spécialisé dans l’ovalie et accueillant le nouveau stade du Sporting Union Agen et son centre-commercial avec sa locomotive Décathlon;
– Fiesta Féria, le pôle regroupant tous les bars et boîtes de nuit de l’agglomération d’Agen, qui avait eu l’intelligence d’utiliser le parking géant de Walibi à partir de 20h pour attirer une clientèle élargie.

Certes, tous ces équipements attiraient du monde dans le Lot-et-Garonne. Mais ils vidaient surtout le centre-ville d’Agen dont l’offre commerciale se réduisait comme peau de chagrin. Pour renverser la situation, les élus locaux s’étaient bien battus mais ils avaient malheureusement choisi les mauvais combats. Le gel des zones à construire suite aux risques d’inondation, avait désigné par défaut la seule zone intéressante pour développer la ville : l’aéroport d’Agen-La Garenne. La reconversion en zone urbaine était prioritaire pour assurer le développement de la ville mais les élus et les PDG locaux avaient toujours empêché le projet (c’étaient eux qui utilisaient l’avion pour aller à Paris). Pire, la nouvelle gare, financée à grands frais par les contribuables agenais, n’accueillait qu’un aller-retour TGV par jour (l’Etat et la SNCF avaient tranché en faveur d’une liaison directe Bordeaux-Toulouse sans arrêt intermédiaire). Les élus locaux s’étaient, on peut le dire, faits sacrément baiser par les grandes métropoles françaises. Les habitants aussi au passage.

Seul point de satisfaction de ces années, la nouvelle technopôle faisait le plein d’entreprises de logistique. Sûrs d’eux, les élus locaux entreprirent alors un coup de force. Pour faire chier Bordeaux et Toulouse, se venger pour le coup du TGV, ils installèrent un péage prohibitif sur l’A62. Le résultat ne se fit pas attendre : + 124 % pour le ferroutage, – 67 % sur l’activité logistique lot-et garonnaise…

Le coup de grâce avait été donné une fois de plus par les élus locaux eux-même, qui avaient mis en place avant tout le monde le télé-enseignement. Les collégiens et lycéens du département ne devaient se rendre dans leur établissement scolaire qu’une fois par semaine. Le reste du temps, ils étudiaient dans des centre de télé-enseignement disséminés à travers le département. Les économies étaient au rendez-vous : moins de transports scolaires pour les collectivités, moins de profs à payer pour l’éducation nationale. Mais la sanction fut immédiate. Une fois débarrassée de la corvée pour amener leurs gamins en cours, la grande majorité des familles d’Agen s’installèrent en lointaine périphérie ou à la campagne. En 2025, le taux de vacance de logements monta à 36%. Agen, ville-centre fantôme, voyait la campagne alentour se bonder sans fin de maisons. Le département accueillait son lot d’amoureux du climat gascon. Tous les élus locaux pouvaient se vanter de l’augmentation du nombre de permis de construire. Enfin tous, sauf un, celui d’Agen.

En 2026, le nouveau président de l’agglomération tira les leçons du passé et se lança dans une politique intelligente, sur le papier :
«  A Agen, il faut attirer des populations captives, qui ne pourront pas quitter Agen ! ». Sous pression des politiques, les techniciens des collectivités trouvèrent 2 solutions. Un doublement du nombre d’EHPAD sur le territoire et un plan innovant en matière d’incarcération des délinquants les moins dangereux. Sous l’impulsion de l’école nationale d’administration pénitentiaire et dans le but de vider les prisons françaises, un programme de mobilisation des milliers de logements vacants agenais pour accueillir les délinquants en semi-liberté fut mis en place. 1 000 habitants supplémentaires, vraiment captifs pour le coup, puisque assignés à résidence dans un rayon de 1 kilomètre, vinrent s’installer dans la ville d’Agen en 2028. Bizarrement, la vie entre les pensionnaires des EHPAD, les repris de justice et les étudiants s’organisa dans une relative harmonie, faut dire qu’ils avaient de la place pour se partager la ville et que le cadre de vie n’étais pas si terrible que ça avec tous ces agriculteurs qui réinvestissaient les friches d’Agen pour planter des vergers au bord de la Garonne. Et puis quand le moral est un peu bas, on gueule contre les politiques, on fait des fêtes dans les logements abandonnés et on appelle Laurent Gaultier pour regonfler la fierté locale.

 

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La carte postale

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Les témoignages

« Lors de mon retour au Conseil Général du 47 en 2019, j’ai mis en place le télé-enseignement. Mutualisation des moyens, économies d’échelle, procédures adaptées, c’était parfait. Mais les formateurs de l’ENA avaient oublié de me dire que ça allait avoir des répercussions territoriales. Je suis re-retourné à Périgueux, ils comprennent mieux le management des fonctionnaires de haut-niveau. »
Arnaud S. ancien ancien DGS du conseil général

« On se sent bien à Agen. La gare TGV est très accueillante et y’a personne pour nous emmerder. Quand on a faim, on vole quelques fruits dans les vergers et quand on veut quelques pièces, on amène notre lecteur de carte bancaire sans contact à Walibi pour détrousser des gros touristes blonds. C’est le bon côté d’être devenu le premier département touristique de France. »
Huit-Six, clochard

« Ces pédés de bordelais et de toulousains nous ont bien baisé la gueule. Mais qui y viennent au stade avec leurs tarlouzes de rugbymen, c’est sur le terrain que les problèmes se règlent. A 15 contre 15, sans l’aide de leurs branleurs de politiques. »
Nono, 56 ans, logisticien.

 

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